UN OFFICE DANS LES ETOILES.
interview de RAYMONDE LALUQUE, directrice de l'Office Public d'HLM d'Ivry.
La rencontre d'un maître d'ouvrage public, d'un aménageur et de concepteurs à la fois audacieux et réalistes, a généré, au centre ville d'Ivry, une forme d'habitat hors des normes et des habitudes. Le sol de l'architecture est devenu soi de la ville, terre et jardin compris. Il aura fallu une équipe cohérente et du temps, cette donnée précieuse que l'on ne trouve peut-être que dans des municipalités opiniâtres.
Raymonde Laluque : l'Office Public d'HLM d'Ivry construit pour les habitants d'Ivry. D'ailleurs, pour nombre d'entre eux, nous ne sommes qu'un bureau de la mairie, celui auquel il faut s'adresser pour obtenir un logement ou pour en changer, pour faire des observations, pour formuler des réclamations. Nous essayons d'être un service sans barrage, sans mystère.
Techniques et Architecture : en vous attendant, dans le hall de l'Office, "Promenée des terrasses " au cur de la complexité urbaine chère à Jean Renaudie, j'ai pu remarquer des usagers venus " en voisins" Il semble que votre activité porte essentiellement sur l'achèvement de la rénovation du centre ville.
Pour beaucoup, mais pas uniquement. La rénovation du centre ville, une opération de 1000 logements H LM en location n'est pas encore achevée. L'atelier de Jean Renaudie achève une tranche de 160 logements et Renée Gailhoustet réalise 140 logements. Mais il est vrai que le centre ville a largement contribué à créer une image de notre Office. Cette opération est le fruit d'un travail concerté avec l'aménageur, la société d'économie mixte (Semi) qui a fondé et mis en uvre la stratégie foncière de cette réalisation et l'a rendue possible. Quelques mots seulement pour rappeler le début de l'opération. Après destruction de la zone insalubre, la rénovation projetée en 1964 s'orientait, comme partout, vers une sorte de grand ensemble, déchirant ce qui restait de notre centre ville de banlieue, avec des fonctions nettement séparées, un centre commercial pour faire ses courses, et des barres pour dormir. C'est alors en 1969, qu'a eu lieu la rencontre de l'Office avec des architectes qui concevaient l'architecture et l'urbanisme en termes différents. L'architecte en chef du projet, nommé par la municipalité après l'élaboration d'un premier plan de masse, a introduit Renée Gailhoustet auprès de la municipalité et de l'Office, en tant qu'architecte d'opération. C'est elle qui, par la suite, a fait connaître Jean Renaudie, à travers son projet pour la ville nouvelle du Vaudreuil. Dès ce moment, l'Office, a décidé de le prendre comme architecte d'opération. Aujourd'hui, son atelier continue son travail. Ces architectes ont formulé en termes constructibles. Une idée que l'Office public considérait - et considère toujours - comme essentielle : L'habitat n'est pas uniquement un nombre limité de cellules - types multipliées par le nombre de logements et empilées en travées verticales le long d'un chemin de grue. Les habitants ont besoin de diversité, de pouvoir s'identifier à leur logement, de le personnaliser. Pour Jean Renaudie, cette idée a pris une forme que maintenant tout le monde connaît. celle des étoiles qui ont fait entrer l'angle de 45' dans l'architecture, pour libérer des espaces très variés. Il est devenu un lieu commun de rappeler que chaque logement est différent, avec sa terrasse, ses volumes peu cloisonnés... Pour Renée Gailhoustet, le plan du logement compte également beaucoup : espace intérieur, doubles niveaux. terrasses... Nous voulons offrir un habitat de qualité aux habitants d'Ivry. C'est ce qui guide nos choix et notre travail dans toutes les opérations que nous réalisons. Nous démarrons aujourd'hui une Zac, dans le quartier d'Ivry port. C'est un tissu industriel marqué par de lourdes contraintes : voirie. chemin de fer, entrepôts... Les immeubles, sans prétendre être une réalisation exceptionnelle, offriront toutes les qualités d'habitat auxquelles nous tenons : espaces du logement, terrasses, volumétrie des bâtiments.
T&A : L'architecture du centre ville est partie intégrante d'un programme urbain. Logements et fonctions diverses, sols privés et publics sont intimement liés. Cela exige-t-il une pratique spécifique de la maîtrise d'ouvrage ?
Dans une opération comme celle-ci, notre pratique de maître d'ouvrage ne peut se limiter à un rôle de promoteur... Elle doit nécessairement intégrer une politique urbaine de longue durée qui ne peut se faire qu'en accord avec la municipalité et l'aménageur. Tout d'abord pour l'acquisition du sol et la maîtrise foncière. Ensuite, pour la répartition du financement de la construction, puis des charges d'entretien des sols publics. Ce problème de gestion découle de la conception même de l'opération. où les accès aux logements et équipements. les rues, passages, promenées, rampes ou escaliers font parties de l'architecture, et participent du fonctionnement quotidien de notre centre ville. Et j'ajouterai qu'il est fort bien vécu par les usagers qui sont approprié l'intérieur et l'extérieur des bâtiments. après avoir été quelque peu réticents sur les formes qui les surprenaient. L'Office a d'ailleurs tenu à informer en permanence la population des projets et des réalisations en cours. Et maintenant. il y a une demande spontanée d'information, ne serait-ce que parce que nous avons encore une liste d'attente de 2500 personnes.
T&A : Comment se fait l'adjudication des marchés aux entreprises ?
Nous travaillons en entreprises générales, sur appel d'offres. Pour la rénovation du centre ville, opération de longue haleine qui se poursuit depuis quinze ans, il est évident que nous ne pouvons changer d'entreprises tranche par tranche, parce qu'elles acquièrent une expérience technique du sol, du sous-sol et de la construction qui leur permet d'être très concurrentielles.
T&A : Comment faire cette architecture dans les normes et les financements du logement social ?
C'est difficile ! il faut beaucoup de travail. Et il est nécessaire de transgresser les normes. Celles de surface, en particulier, que nous dépassons bien souvent. Nous avons également des problèmes avec le coefficient G qui s'adapte mal à ce type d'architecture : les fenêtres sont trop grandes... Renée Gailhoustet vient d'en faire l'expérience. Nous envisageons d'installer des doubles vitrages sur les premiers bâtiments du centre ville, ce qui représente un surcoût important qu'il faudra intégrer au coût global. Les économies d'énergie nous obligeront-elles à choisir entre la lumière et l'hyper isolation ? Nous sommes donc contraints de faire des économies, sur les matériaux de finition, sur l'aspect du béton, sur la qualité de certaines prestations intérieures (papiers, finitions ... ) mais jamais sur l'espace du logement, sur son organisation. Jamais, en somme, nous ne voulons reculer sur la conception fondamentale de l'architecture.
Propos recueillis. par Marie-Christine Loriers-Augeard
136 LOGEMENTS AU DESSUS D'UN CENTRE ARTISANAL A IVRY.
S.E.M.I., MAITRE D'ouvrage
RENEE GAILHOUSTET, ARCHITECTE
Y. BUCKOWSKA, J.P. DESSE, M GRUTER, M. LAVANANT, J.L. SCHMITT, M. THOMSEN, ASSISTANTS
J.P. TOHIER, TECHNICIEN EN ECONOMIE
La façon dont ce bâtiment est organisé repose sur les options prises en 1968 dans le centre ville d'Ivry sous l'impulsion de Jean Renaudie :
· refuser les divisions technocratiques de l'espace, confronter dans une structure commune des éléments d'échelle et de fonction différentes, tenter de retrouver la diversité, la proximité, la capacité d'évolution des tissus anciens ;
· donner au logement toute son importance comme élément constitutif de la ville. Les relations sociales peuvent être facilitées, encouragées par un habitat individualisé, par le prolongement de l'espace intime vers des lieux extérieurs en relation avec la vie publique. Les enfants aussi doivent trouver dans un quartier central, avec ses contraintes et ses dangers, des espaces qui leur rendent la vie possible ;
· dans les relations qu'un bâtiment entretient avec la ville, ne pas considérer comme suffisant de soumettre l'architecture à des règlements d'urbanisme. Mais imaginer des propositions architecturales qui produiront de nouvelles possibilités en matière urbaine.
La desserte d'ateliers, de commerces et de 136 logements peut être l'occasion de créer entre deux rues importantes, un chemin public dont le caractère est défini, à la fois par ce qui se passe dans la ville alentour et par les choix propres au nouveau bâtiment : galeries longeant les rues, dessertes des halls en relation avec des jardins intérieurs, sur-hauteurs accentuant l'ambiguïté d'espaces abrités perçus comme lieux ouverts sur le ciel.
Nous ménageons des découvertes sur les espaces définis par des volumes de bâti, mais nous constituons aussi un morceau du parcours assurant les relations dans la ville. Cette référence à des réseaux de types différents exclut un dessin fonctionnel, hiérarchisé. Chacun doit pouvoir faire son propre chemin, trouver ses propres points de repère dans des espaces différenciés, que nous préférons à la lecture immédiate d'un ordonnancement unificateur.
Nous cherchons également à retrouver cette liberté d'utilisation, ce jeu entre dedans et dehors dans les plans des logements. Ceux-ci peuvent englober un patio, se refermer en deux ailes autour d'une terrasse - jardin, étager les espaces de vie sur des plans dénivelés rendant possible une perception de l'extérieur à partir d'espaces à la profondeur inhabituelle.
Les plans libres, comme on le sait depuis les années 20, s'accommodent bien d'une ossature ordonnée. Cette trame et toutes les contestations qui l'accompagnent - permettent une simplification des moyens constructifs ; elle ne peut prétendre à régenter un système ; les relations avec les autres bâtiments, le respect du terrain alentour, les contraintes propres des formes (alléger par des Porte-à-faux, articuler les Pénétrations des volumes, amplifier les vides intérieurs), autant de raisons pour accepter, dans cette structure, variations et accidents.
Il nous semble légitime d'accepter une façon de construire rationnelle, rapide, sans regrets nostalgiques pour un artisanat du bâti. Mais la mécanique de l'élément constructif ne devrait jamais imposer ses priorités au détriment d'un véritable savoir-faire des Professionnels de la construction et de choix architecturaux assurant l'unité formelle du bâtiment.